Je ne sache pas qu'aucune communauté ait le droit d'en forcer une autre à être civilisée. Tant que les victimes de la mauvaise loi ne demandent pas l'aide des autres communautés, je ne puis admettre que des personnes sans rapport aucun avec elles puissent intervenir et exiger la cessation d'un état de choses qui semble satisfaire toutes les parties intéressées, sous prétexte que c'est un scandale pour des gens vivant à quelques milliers de miles de là, et qui n'y ont aucune part et aucun intérêt.
Qu'ils envoient des missionnaires, si bon leur semble, pour prêcher contre elle; et qu'ils opposent au progrès de telles doctrines dans leur propre pays des moyens équitables (or, imposer le silence aux novateurs n'en est pas un). Si la civilisation a vaincu la barbarie quand la barbarie dominait le monde, il est excessif de craindre qu'elle puisse revivre et conquérir la civilisation après avoir été défaite. Pour qu'une civilisation succombe ainsi à son ennemi vaincu, elle doit d'abord avoir dégénéré au point que ni ses prêtres, ni ses maîtres officiels, ni personne n'aient la capacité ou ne veuillent prendre la peine de la défendre.
Si tel est le cas, plus vite on se débarrassera d'une telle civilisation, mieux ce sera. Elle ne pourra aller que de mal en pis, jusqu'à ce qu'elle soit détruite et régénérée (comme l'Empire romain d'Occident) par d'énergiques Barbares.
Intéressantes réflexions de JSM, une fois encore (Liberté, IV).
Commentaires
Intéressant mais angélique...
A un premier niveau, la réflexion de Mill date d'une époque où la mondialisation était encore balbutiante. Les moyens de communication (tant les transports que l'information) étaient suffisamment rudimentaires pour permettre que des pays éloignés les uns des autres évoluent chacun dans son coin sans trop se gêner les uns les autres. Ce n'est plus guère le cas aujourd'hui, où l'évolution de l'Iran, du Pakistan ou de la Palestine (pour ne citer que quelques exemples) ont un impact sur notre propre évolution.
A un second niveau, je suppose que Mill fait allusion à un interventionnisme d'Etat. Il reconnaît sûrement le droit de citoyens à fonder une association destinée à lutter contre ce qu'ils considèrent comme des abus dans d'autres pays (par exemple, une association comme "Free Tibet" ou comme Amnesty International). Sans quoi, il serait en contradiction avec sa propre conception de l'action individuelle. Or, pourquoi des Etats ne pourraient-ils se permettre ce qu'ils autoriseraient à leurs citoyens ?
A un troisième niveau, enfin, l'ingérence d'une façon ou d'une autre a toujours été un élément-clé des relations internationales. Pour ne donner qu'un exemple, faut-il rappeler que l'Angleterre a fait par deux fois la guerre à la Chine pour l'OBLIGER à continuer d'acheter et de consommer l'opium dont le trafic enrichissait les compagnies britanniques ? Or, le texte que tu cites a été écrit en plein dans la seconde guerre de l'Opium (en 1859-1860) et je n'ai pas connaissance que Mill ait pris position à ce sujet. Aujourd'hui, l'ingérence se montre plus facilement à visage découvert et- hommage du vice à la vertu - se sent plus souvent obligée de se parer de prétextes humanitaires. Sans oublier les cas de véritable intervention humanitaire. On peut peut-être considérer ça comme un progrès...
C'est effectivement assez actuel.
Mais ceci dit, 1859 ce n'est pas si vieux que ça en fait.
Il ne faut pas oublier que chaque civilisation ou culture a ses propres racines et par conséquent, il ne faut pas vouloir les comparer. Attention à l'ethno- centrisme occidental.
J'aime encore mieux l'introduction :
« Le sujet de cet essai est la liberté sociale ou civile : la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l'individu. Cette question, bien que rarement posée ou théorisée, influence profondément les controverses pratiques de notre époque par sa présence latente et devrait bientôt s'imposer comme la question vitale de l'avenir. ( ... )
Il convient de remarquer que je renonce à tout avantage que je pourrais tirer au cours de mon argumentation de l’idée d’un droit abstrait, indépendant de l’utilité. Je considère l’utilité comme le critère absolu dans toutes les questions éthiques ; mais ici l’utilité doit être prise dans son sens le plus large : se fonder sur les intérêts permanents de l’homme en tant qu’être susceptible de progrès. Je soutiens que ces intérêts autorisent la sujétion de la spontanéité individuelle à un contrôle extérieur uniquement pour les actions de chacun qui touchent l’intérêt d’autrui… »
John Stuart Mill, De la Liberté [1859], Introduction
En France, nous sommes devenus très prudents sur l'ingérence il me semble, tant nous craignons d'être accusés de colonialisme.
Il y a cependant deux points où j’estime que nous devrions être fermes et ne pas considérer cela comme de l'ingérence indigne :
- la maltraitance des enfants (par leur utilisation aux tâches pénibles entre autre ou la prostitution)
- et celle des femmes (en particulier par l'excision).
Tradition ou religion ne sont là aucunement recevables ! Il faut donc encourager principalement l'éducation des filles.
Par ailleurs, lorsque notre propre pays, notre France, semble peu à peu se transformer en terre étrangère tant nos principes élémentaires sont bafoués, il serait peut-être bon de faire de « l'auto-ingérence » non ?! Avant que certains voisins continuent à nous donner des leçons. Parce qu’une remontrance du pape… c'est tout de même bien alarmant.
Faisons d’abord le ménage chez nous : virons la saleté et la laideur d’un gouvernement duquel le peuple n’espère plus rien. En chassant d’abord de nos esprits toutes ces idées que l’on veut nous imposer. Si poussiéreuses... qu’elles en masquent nos réelles aspirations.
Très joli billet qui m'autorise à rebondir :
Un 'tit lien commenté: Bonne nuit Jourdan :) Bah voui, ca passe pas chez Oréade^^^C'est dingue, c'est fou n'est-ce pas? :D Pourquoi tant de haine?
http://oreadecentriste.20minutes-blogs.fr/archive/2010/05/19/la-politique-actuelle-du-modem-faire-le-dos-rond.html
:P