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Teotihuacan, la cité des dieux

S'il est une cité qui a excité mon imaginaire de longue date, c'est celle de Teotihuacan, qui se trouve au Mexique. Étrange civilisation que celle qui édifie, à l'âge de l'Empire Romain, une ville-sanctuaire qui compte jusqu'à 200 000 âmes, puis qui disparaît sans laisser de traces. 40km2 de complexes et de constructions architecturales grandioses autant que prodigieuses. Ce qui est étonnant, avec cette cité, c'est qu'elle est apparue puis a disparu à nouveau à de nombreuses reprises. Sa population dispersée au VIIème siècle, elle est réoccupée par les Toltèques au XIème siècle puis à nouveau abandonnée jusqu'à ce que les Aztèques la réinvestissent. Avec l'effondrement des Mexicas, on n'entend à nouveau plus parler d'elle ; elle se recouvre alors peu à peu de végétation jusqu'à passer pour de verdoyantes collines...

On ne sait pas qui a fondé Téotihuacan. On ne sait même pas quel est son véritable nom ! Les Aztèques la nommaient ainsi en nahuatl, mais rien ne dit qu'elle n'ait pas porté un tout autre nom à sa création. C'est là que se rencontrent le soleil et la lune, là aussi où Quetzalcoatl, le serpent à plumes, et son miroir maléfique, Tezcatlipoca, auraient créé les hommes, en associant du sang des dieux et les ossements de morts encore plus anciens qu'eux.

Je me suis toujours interrogé sur l'obsession des Toltèques, Aztèques et peut-être même Olmèques pour le sang. Au point de sacrifier des milliers et des milliers de victimes à leur culte insensé. Quand les Espagnols ont mis les pieds à Tenochtitlan, les Aztèques ont cru que Quetzalcoatl venait leur rendre visite en personne : ils ont donc été accueillis par un carnage sans précédent, transformant la cité en charnier. A considérer l'iconographie religieuse chrétienne, et celle des Aztèques, il est assez peu étonnant que les Espagnols aient vu dans ce peuple une nation en proie à la domination des démons. Les Aztèques n'ont pas péri du seul fait des maladies et de leur crédulité : en réalité, ils étaient abhorrés des tribus indiennes environnantes, et, dans un premier temps, c'est à leur grande joie que les Espagnols ont fait chuter la puissance aztèque.

La mort prend des chemins tortueux : les rites aztèques nous paraissent monstrueux, particulièrement ceux qui étaient rendus à Tlaloc, avec ses vierges dansantes écorchées vives. Mais, en un siècle, la présence des Espagnols a fait passer la population aztèque de 25 millions d'individus à 4 au début du XVIIème siècle. Il n'existe aucun autre génocide d'une ampleur comparable dans l'histoire de l'humanité. S'il n'y eut pas forcément une politique d'extermination calculée et délibérée, le résultat final, à force d'exactions, fut tout comme.

Il n'en reste pas moins que certaines thèses présentent la civilisation aztèque, en raison de la prégnance du sacrifice humain, comme psychopathologique. Un débat, à n'en pas douter, qui devrait intéresser le taulier des Peuples du soleil...La discussion existe sur wikipedia, en tout cas, les contributeurs examinant s'il est pertinent ou non de classer le sacrifice humain dans la même catégorie que les meurtres et homicides (les sacrifices aztèques présentent tout de même un caractère aussi particulier qu'horrible : wikipedia leur consacre d'ailleurs un article spécifique).

Les Aztèques attribuaient à Tezcatlipoca l'instauration des sacrifices humains, après sa victoire contre Quetzalcoatl, qui y était opposé. En réalité, les Olmèques les pratiquaient déjà. C'était donc une pratique ancienne, et c'est ce que semblent montrer les fouilles récentes à Teotihuacan. Une chose est probable : les Aztèques ont massifié le sacrifice humain pour avec d'autres objectifs que purement religieux. L'objectif était vraisemblablement de régner par la terreur pour assurer l'ordre social et pressuriser les tribus indiennes voisines. En ce sens, et compte-tenu de leur attitude envers leurs voisins, je ne suis pas convaincu que les Aztèques aient eu grand chose à envier aux Espagnols en matière d'immoralité. In fine, ils n'étaient que simplement moins avancés dans la technologie militaire.

Dans les religions d'Orient et d'Occident, ce sont souvent des figures charismatiques et exemplaires qui l'emportent sur les forces souterraines et maléfiques : Jésus de Nazareth, le Bouddha, Zarathoustra, Confucius, Moïse, Mahomet, tous ont en commun de porter la vie comme valeur. Imaginons que Satan ait vaincu Jésus, chez les Chrétiens, par exemple : voilà à mon avis ce que pouvait représenter, toutes proportions gardées, la victoire de Tezcatlipoca contre Quetzalcoatl à Tula. Avec la défaite du Serpent à plumes, c'est l'espoir de temps meilleurs pour les hommes qui s'était effondré...

Commentaires

  • Teotihuacan, la cité des lieux communs...

    Le sacrifice humain s'observe. Ses motivations se supposent et ce n'est qu'à partir de là que commence les spéculations universitaires sur la question. Au final, cela permet même de justifier l'invasion espagnole comme une conquête de libération des peuples méso-américains opprimés par les méchants aztèque. Ce n'est jamais qu'une variante du scénario d'Avatar.

    L'anthropocentrisme développé ici, (partir des fondements de nos cultures pour expliquer leur mythologie) est une entreprise en pure perte. Quant à mettre une ribambelle de prophètes, allant du moyen orient aux confins de l'Asie sur le même plan, là c'est du grand art.

    La notion de sacrifice humain n'est pas un totem sémantique universel sacralisé par le structuralisme.

    Si cette pratique n'est pas analysée en fonction de leur propre métaphysique et de leur mythologie, alors c'est l'échec.

    Car cela revient systématiquement à faire comparaitre la civilisation aztèque devant un tribunal judéo-chrétien.

    Et c'est une double peine. Scientifique pour nous parce qu'on ne comprend rien avec cette méthode. Culturelle pour eux parce qu'ils méritent peut-être que mieux de se voir jugés par la civilisation qui a à son actif le plus grand nombre de génocides et de massacres, alors que ses plus grand prophètes prêchaient la vie et l'amour.

  • @Barbecane
    à, votre tour de faire un tour de passe-passe chronologique : vous ne pouvez comparer cette civilisation avec la nôtre. Il faut comparer des stades de développement comparables : par exemple, les Aztèques et les Crétois (Minoens) ou Mycéniens, ou encore les Égyptiens.
    Le sacrifice humain de masse interroge tout de même plus que le sacrifice humain occasionnel. D'autres civilisations l'ont pratiqué, mais jamais avec cette ampleur.
    Il n'y a pas de justification à l'invasion espagnole : comme je l'ai dit, elle a généré plus de 20 millions de morts en moins d'un siècle, des chiffres que l'on ne peut envisager qu'au vingtième siècle, et encore.
    L'attitude des Espagnols n'interdit pas pour autant d'examiner celle des Aztèques (et je dis bien des Aztèques, pas des Toltèques ou des Olmèques, a fortiori des Mayas).

  • C'est effectivement cette comparaison auto-centrée que je récuse. Notamment dans les spéculations sur les intentions aztèques dans les sacrifices (politique de la terreur).

    "Le sacrifice humain de masse interroge"
    C'est bien cela. A partir de leur propres référents culturels et non à l'aune d'une reconstitution historique scénarisée à l'occidentale.

    Vous avez regardé du côté de leurs mythes fondateurs? Pourquoi les dieux se sont sacrifiés pour mettre l'univers en mouvement?
    Que ce sacrifice divin a impliqué un transfert d'énergie à un univers qui l'épuise en permanence?
    Que cette énergie, le tonalli, est aussi propre aux humains, en charge de perpétrer le sacrifice originel?

  • @Barbecane
    Oui, je suis d'accord : je connais le poids du cinquième soleil dans leurs rites, mais il n'en reste pas moins que ce sont surtout des captifs étrangers (autres tribus) que les Aztèques sacrifiaient. certes, ils considéraient comme un honneur de mourir par un sacrifice, mais j'imagine que de la théorie à la pratique, il devait y avoir un sacré pas. Ce ne serait pas la 1ère fois qu'une pratique religieuse serait hypocrite. Voyez nos propres religions monothéïstes...
    Je ne crois pas les Aztèques plus purs que nous. Le mythe du bon sauvage a, je le crois, vécu...

  • Ni bon ni sauvage, ne soyez pas méprisant en plus. Après tout ce ne fut que la première ville au monde...

    Oui l'emploi de drogues est avéré pour le futur sacrifié, ça aide.

    Néanmoins, vous "imaginez" comme vous dites en spéculant sur l'idée que certaines religions ont été perverties.

    Savez-vous à quoi servez le "toupet" que tous les guerriers portaient, y compris aztèques?

    Savez-vous que le terme de guerre n'appelait aucun massacre mais consistait à la capture pour sacrifier les prisonniers?

    Les aztèques n'ont rien inventé en la matière ni fait autrement que leurs contemporains.

    Ils étaient comme la plupart des autres groupes de culture nahua, sans grandes particularités.

    Il faudrait arrêter de les regarder comme dans les Cités d'Or.

  • @ Barbecane
    Les Cités d'or ne sont pas vraiment ma référence...
    En effet, les Aztèques, progressivement, ont tenté de réaliser le plus de prisonniers possibles. Aucun humanisme là-dedans, mais le seul désir de disposer du plus grand nombre possible de victimes sacrificielles.
    En ce qui concerne le mythe du bon sauvage, je fais référence à une mode apparue dans les milieux intellectuels au XVIIIème siècle, qui consistait à considérer que les populations des nouveaux continents ne pouvaient avoir été corrompues par la modernité et la société. l'Ingénu de Voltaire, par exemple, le bon sauvage de Rousseau, Atala/René chez Chateaubriand, et cetera...

  • J'avais promis de répondre en commentaire à la question posée par L'Hérétique. Barbecane et L'Hérétique ont déjà pas mal débattu. Que faut-il ajouter?
    1/ La question de l'homicide: si le terme n'est pas à proprement parler juridique, son acception l'est largement. Nous nous trouvons face à la loi mais ce n'était pas le cas chez les Aztèques car le sacrifice on est du côté de l'offrande. Difficile donc de juger avec nos propres schémas culturels. Je ne sais plus qui a parlé de clavier conceptuel: chaque culture possède un clavier limité composé de touches, elle ne peut que se référer à ces touches pour comprendre le monde. Si une autre culture possède un clavier un peu ou très différent, la compréhension, l'entendement est compliqué.
    2/ Je ne nie absolument pas l'ampleur des sacrifices humains chez les Aztèques mais ils ont aussi servi à la propagande espagnole. Il y a eu une légende noire de l'Espagne, les Espagnols ont aussi créé une légende noire des peuples précolombiens afin de justifier leur politique coloniale. Mais, reconnaissons aussi que le pouvoir central espagnol fit des efforts afin d'atténuer les rigueurs coloniales.
    3/ Le sacrifice de masse pose la question du normal (ou de la norme) et de l'anormal (ou de l'anomalie). Dit ainsi, le problème n'est pas résolu. Est-il dans la norme sociale aztèque de pratiquer le sacrifice humain? Oui. Le désir de sacrifice répond-il à une pathologie? Non, ce n'est pas une maladie (à moins de penser que le phénomène religieux en lui même relève de la médecine). Le problème vient donc de l'origine du regard sur le phénomène. L'historien n'a pas à juger mais à chercher la vérité.
    4/ la prégnance du thème du sacrifice humain dans les fictions mettant en scène des peuples précolombiens doit nous interroger. Je ne crois pas que la littérature - et plus largement la fiction - puisse représenter réellement l'altérité: elle est condamnée à utiliser les schèmes, archétypes, stéréotypes, clichés, lieux communs (c'est à dire ce qui est partagé entre l'auteur et le lecteur) pour donner à voir l'Autre. Montrer le sacrifice, le condamner par différents moyens (représenter la jeune vierge effarouchée qui finit par tomber dans les bras du bellâtre de service est un moyen comme un autre), c'est affirmer des valeurs de sa propre société (respect de la vie humaine, "civilisation",...). C'est aussi "démontrer" (le terme est impropre mais vu l'heure on me pardonnera) que le monde regardé est violent et qu'en dehors de la civilisation (européenne essentiellement) il n'y a que la loi du plus fort (qui est toujours la meilleure, la preuve, l'Européen triomphe toujours à la fin avec les mêmes moyens).
    C'est toute l'ambiguïté de ces fictions que je collectionne. Je reprendrai pour conclure cette citation de Matthieu Letourneux: "Ci-dessus, la couverture d'un fascicule du début du siècle. Elle illustre bien l'ambiguïté du roman d'aventures: le héros est un Blanc, choqué par la barbarie des sauvages; mais c'est cette barbarie qui est mise en valeur par la couverture (avec les têtes tranchées), parce qu'elle est jugée vendeuse. Le lecteur s'offusque, mais il est aussi attiré par ce qui le choque…" (source: http://mletourneux.free.fr/presentation/Presentation-generale.html#probl%C3%A9matique )

  • Très intéressant, merci.
    je vais publier ta réponse sur mon blog dans les deux jours.

  • Tu peux reprendre le commentaire sur ton blog, ça ne me dérange pas (au contraire, vu ton audience ^__^ )

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