Alstom a actuellement les honneurs de la presse : et pour cause, l'entreprise d'électricité et construction ferroviaire lance un prototype de train à grande vitesse, dont la particularité est de ne plus être tracté par une locomotive, mais de disposer d'un pouvoir tracteur réparti sur chaque wagon. Le carnet de commandes est plein, et des visiteurs venus des quatre coins du monde frappent à la porte pour acquérir la fine fleur de la technologie de l'entreprise.
En ces temps de disette d'énergies fossiles à venir et de réchauffement climatique, la technologie d'Alstom présente évidemment bien des avantages, a fortiori pour des investissements sur du long terme...
Il faut reconnaître (pour une fois) que Sarkozy alors Ministre de l'Economie et des Finances, avait agi vite et bien sur ce dossier, en engageant l'Etat dans le capital d'Alstom.
Il avait notamment énoncé devant l'Assemblée Nationale, le 26 mais 2004, les mots suivants :
Quand il faut privatiser parce que c'est l'intérêt de l'entreprise, nous privatisons. Et lorsqu'il faut investir des fonds publics pour sauver des entreprises, nous le faisons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ce n'est pas de l'idéologie, c'est du pragmatisme : la France ne peut pas vivre sans une industrie puissante.
Il y a, cet après-midi même, un tour de table avec les banques afin de trouver les 10 milliards d'euros nécessaires pour cautionner, non pas Alstom, comme je l'ai entendu dire, mais les clients d'Alstom. J'espère que, avec le Premier ministre, nous pourrons annoncer ce soir l'accord finalisé avec les banques.
Enfin, quatre années sont données à Alstom pour nouer des partenariats industriels. En quatre ans, les femmes et les hommes d'Alstom qui construisent le TGV et le Queen Mary pourront affronter la concurrence, car l'entreprise sera redressée. Bien sûr, pour nouer un partenariat, il faut des partenaires qui soient tous deux debout, à armes égales.
Nous n'avons pas accepté un dépeçage qui aurait permis à certains de prendre les morceaux qui les arrangeaient, laissant les autres à l'État. Cela s'appelle du volontarisme industriel et c'est un message pour tous les salariés d'Alstom. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
Comme quoi, quand il y a des choses qui vont dans le bon sens, on est capable d'approuver, à l'UDF-MoDem...Le malheur, c'est qu'actuellement, on ne peut pas dire que cela va dans le bon sens...
Plus généralement, cette histoire repose le problème de l'intervention de l'Etat dans l'économie et notamment sur les marchés. On sait déjà que les fonds dits Souverains affluent sur les marchés financiers. Je crois, pour ma part, mais je ne suis pas le seul, que l'Europe toute entière devrait se doter d'un fond puissant capable de se porter au secours, non à fonds perdus, mais par recapitalisation, des entreprises qui traversent des mauvaises passes.
On me dira, bien évidemment, que c'est contraire à la concurrence libre et non faussée entre entreprises. Certes, mais à ce compte-là, les autres états de la planète en font autant : quid du géant Gazprom qui est alimenté par l'état russe ? Quid de la République Populaire de Chine qui se comporte en large partie comme un état hyper-capitaliste pour favoriser ses propres entreprises ?
Au-delà de la concurrence libre et non-faussée, je crois qu'il y a une valeur supérieure, qui devrait être le Bien commun. Bien sûr, il faut aussi admettre le principe de règles communes, car s'affranchir de ces dernières est à l'évidence contradictoire avec le Bien Commun.
Je ne prône pas , bien évidemment, la promotion d'intérêts nationaux égoïstes, mais je pense que nous aurions vocation, nous autres Français, qui nous nous sommes longuement développés avec une intervention appuyée de l'état, à entamer une discussion avec nos partenaires européensafin de mettre en place des procédures et un fond d'intervention pour les entreprises en péril. J'ai lu à cet effet une analyse de l'économiste Elie Cohe, qui date dedécembre 2003, évoquant la désindustrialisation de l'Europe et le désarroi de ses dirigeants politiques : elle conserve toute sa pertinence et justifie a posteriori la position adoptée alors par la France à l'époque.
Dans un ouvrage récent, trente spécialistes internationaux dressent le bilan de santé de l'Hexagone : il s'agit de Regards sur la France, chez Seuil. J'y ai lu entre autres avec beaucoup d'intérêt l'analyse que porte Jonah Levy, professeur de sciences politiques à l'Université de Berkeley sur le nouvel interteventionisme de l'Etat en France. Il note une véritable modification de l'Etat dirigiste du début des années 80 : désormais, il ne s'agit plus de déterminer les gaggnants, mais de construire un environnement porteur pour les entreprises, notamment en prenant en charge certains de leurs coûts pour les aider à évoluer.
Cette politique n'a pas si mal marché, mais elle s'est accompagnée de dispositifs d'anesthésie sociale que je juge pour ma part, pernicieux : certes, ils ont permis la transformation de l'état dirigiste en état accompagnateur et une mutation de l'économie française, mais ils ont eu un coût bugétaire croissant qui plombe désormais les comptes de la nation, et, surtout, ils ont créé une atmosphère de déresponsabilisation, diluant progressivement l'activité. Le problème, c'est que les dispositifs sociaux avaient tous été conçus pour être temporaires, et ils sont tous devenus pérennes.
Commentaires
Je suis tout à fait d'accord. Même si je suis libéral, je pense que l'Etat doit pouvoir intervenir quand des secteurs stratégiques de notre économie sont en péril. Je prends pour exemple Singapour, qui a connu développement économique fabuleux, où l'Etat dispose d'un fonds d'investissement nommé "Temasek" et qui a permis le développement d'un certain nombre d'activités porteuses. Un tel fonds à l'échelle européenne ? Voilà une idée à étudier !
Bonjour Thomas,
On peut essayer d'en parler à nos euro-députés, mais je ne serais pas étonne que l'idée circule déjà au Parlement Européen depuis un moment.
Le vrai problème, en la circonstance, ce sont les rapports entre états, et notamment le problème de la concurrence. C'est pour cela qu'il vaudrait mieux une autorité suprême. Bon, évidemment, il faut prendre garde à ne pas recapitaliser tout et n'importe quoi, et je pense qu'une telle mesure devrait demeurer limitée dans le temps.
Cher Hérétique,
Il semble, d'après de nombreux observateurs de Bercy, que le "sauvetage" de Alstom présenté par l'omni-candidat comme son plus haut fait d'armes en matière industrielle ne lui soit en fait nullement attribuable.
Comme souvent (euphéimsme poli), celui-ci se serait auto-attribué un mérite qui reviendrait à son prédécesseur, Francis Mer qui le premier avait fait travailler ses services sur cette solution.
Quand on regarde par contre l'application exacte du plan mené à la charge par NS alors ministre des finances, l'astuce dont personne ne parle aujourd'hui, consistait à céder la branche "chantiers navals" (Alstom Marine) à un groupe norvégien (Aker Yards) qui, sans mettre une couronne dans l'affaire l'a revendue moins d'un an plus tard à un groupe Coréen en faisant d'une part une plus value fantastique (dont Alstom France n'a rien vu) et engrangé près d'un miliard de bénéfices pendant cette même année.
Aujourd'hui l'opération, menée à l'époque en fanfare par le ministre déjà omni-candidat fait craindre aux chantiers navals de St nazaire la délocalisation progressive (le pillage en fait) d'un savoir faire technologique précieux par un groupe qui ne maîtrise pas en Asie la construction de paquebots (STX est un groupe sud-coréen spécialisé dans les tankers et supertankers, fabrication beaucoup plus sommaire).
A l'époque, un peu de réflexion et de mesure plutôt qu'une frénésie médiatique déjà megaloaniaque, aurait pu déboucher au moins sur un accord de groupes européens (dont les italiens) pour sauvegarder la fabrication de paquebots et... ce qui va devenir plus genant... des batiments militaires dont le futur porte avion!... CQFD