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Lectures - Page 8

  • Démocratie en Amérique : tyrannie de la majorité

    Je n'avais plus repris ma Démocratie en Amérique depuis le 07 juin dernier. Il était grand temps que je m'y remette !!! Je viens donc de m'arrêter sur le paragraphe du chapitre 2 de la deuxième partie du tome I. Ce chapitre traite de l'omnipotence de la majorité et de ses effets...

    En voici un extrait fort pertinent :

    « Je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu'en matière de gouver­nement la majorité d'un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l'origine de tous les pouvoirs. Suis-je en contradiction avec moi-même ?

    Il existe une loi générale qui a été faite ou du moins adoptée, non pas seulement par la majorité de tel ou tel peuple, mais par la majorité de tous les hommes. Cette loi, c'est la justice.

    La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple.

    Une nation est comme un jury chargé de représenter la société universelle et d'appli­quer la justice qui est sa loi. Le jury, qui représente la société, doit-il avoir plus de puissance que la société elle-même dont il applique les lois ?

    Quand donc je refuse d'obéir à une loi injuste, je ne dénie point à la majorité le droit de commander; j'en appelle seulement de la souveraineté du peuple, à la souve­raineté du genre humain.

    Il y a des gens qui n'ont pas craint de dire qu'un peuple, dans les objets qui n'intéres­saient que lui-même, ne pouvait sortir entièrement des limites de la justice et de la raison, et qu'ainsi on ne devait pas craindre de donner tout pouvoir à la majorité qui le représente. Mais c'est là un langage d'esclave.

    Qu'est-ce donc qu'une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu'on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu'un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n'admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère ? Sont-ils deve­nus plus patients dans les obstacles en devenant plus forts 1 ? Pour moi, je ne saurais le croire; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l'accorderai jamais à plusieurs.»

    C'est tellement juste et bien dit que je vois pas quel commentaire ajouter...Je dois tout de même préciser que dans les crochets, Tocqueville a ajouté qu'il n'était pas pour autant favorable à un mélange des genres, et je le cite :

    «Le gouvernement qu'on appelle mixte m'a toujours semblé une chimère. Il n'y a pas, à vrai dire, de gouvernement mixte (dans le sens qu'on donne à ce mot), parce que, dans chaque société, on finit par découvrir un principe d'action qui domine tous les autres.»

    Ce n'est pas faux : en somme, si je comprends clairement ce qu'il entend par là, en cas de grande coalition, il y a forcément une ligne directrice qui l'emporte sur l'autre...Cette affirmation ne doit pas être ignorée, parce qu'elle bat en brèche l'idée des grandes coalitions, comme on a pu le voir récemment en Allemagne, par exemple. Or, c'était aussi une idée de François Bayrou lors des présidentielles. En même temps, Bayrou n'appelait pas forcément opposition et majorité à travailler ensemble, mais notait que les lignes de fracture aujourd'hui n'étaient plus les mêmes que par le passé, et même que certaines étaient factices. A cet égard, sa pratique n'est donc pas forcément en contradiction avec l'analyse de Tocqueville sur ce sujet.

    En réalité, ce que Tocqueville veut dire,  c'est qu'une coalition entre majorité et minorité n'est pas une garantie de respect de la justice et du droit. d'où l'affirmation suivante :

    « Je pense donc qu'il faut toujours placer quelque part un pouvoir social supérieur à tous les autres, mais je crois la liberté en péril lorsque ce pouvoir ne trouve devant lui aucun obstacle qui puisse retenir sa marche et lui donner le temps de se modérer lui-même. »

    Je fais même les miennes les interrogations de Tocqueville dans la suite du chapitre :

    «Lorsqu'un homme ou un parti souffre d'une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous qu'il s'adresse ? À l'opinion publique ? c'est elle qui forme la majorité; au corps législatif ? il représente la majorité et lui obéit aveuglément; au pouvoir exécutif ? il est nommé par la majorité et lui sert d'instrument passif; à la force publique ? la force publique n'est autre chose que la majorité sous les armes; au jury ? le jury, c'est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts: les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre.»

    C'est parce que je partage cette vue que je m'inquiète quand un parti me semble contrôler tous les leviers de l'Etat. Mais c'est encore bien plus pernicieux quand c'est un establishment dont le pouvoir ne prend pas le visage clair de victoires électorales, ou, non moins trompeur, un oligoôle de fait se partage le pouvoir en alternance, comme peuvent le faire le PS et l'UMP à tour de rôle.

    «Supposez, au contraire, un corps législatif composé de telle maniè­re qu'il repré­sente la majorité, sans être nécessairement l'esclave de ses passions; un pouvoir exécu­­tif qui ait une force qui lui soit propre, et une puissance judiciaire indé­pen­dante des deux autres pouvoirs; vous aurez encore un gouvernement démocrati­que, mais il n'y aura presque plus de chances pour la tyrannie».

    Pauvre Tocqueville...s'il avait entendu les cris d'orfraie des Socialistes contre Lang lors de la révision constitutionnelle...ou encore les pressions sarkozystes contre les députés UMP tentés par la fronde...Rares sont les députés qui votent entièrement en leur âme et conscience.C'est, me semble-t-il, cette manière de fonctionner que Bayrou revendique, et la Nouvelle UDF puis le MoDem ont largement ouvert, par la pratique de la première et par l'inscription de la liberté de vote dans les statuts du second, la voie à une telle conception de la démocratie. Ailleurs, on en est très loin...

     

     

  • Chagrin d'école

    J'ai achevé tout récemment le livre de Daniel Pennac, Chagrin d'école. Un ouvrage qui se veut une anthropologie du cancre, en prenant comme homo erectus cancer l'élève que Pennac a été à l'école. Si l'ouvrage se révèle de prime abord plutôt distrayant, avec des observations souvent de bon sens, il énerve également par sa prétention à édifier un modèle universel de cancre.

    Pennac est convaincu que la cancritude prend sa source dans un même creuset dont il se voit un très (sinon le plus) éminent représentant. En réalité, son modèle de cancre est tout à fait atypique et ne correspond nullement au cas général (un cancre qui dévore de la littérature en 3ème, c'est relativement rare, même si cela existe).

    Souvent, Pennac se fait donneur de leçons, ignorant que les temps ont changé, même s'il affirme l'admettre, et que les élèves cancres idéaux qui s'extasient devant la littérature sont une espèce complètement inconnue de nos bancs d'école de nos jours.

    Ainsi, pour affirmer cela :

    Oui, c'est le propre des cancres: ils se racontent en boucle l'histoire de leur cancrerie: je suis nul, je n'y arriverai jamais, même pas la peine d'essayer, c'est foutu d'avance, je vous l'avais bien dit, l'école n'est pas faite pour moi... L'école leur paraît un club très fermé dont ils s'interdisent l'entrée. Avec l'aide de quelques professeurs, parfois.

    Pennac n'a plus eu depuis bien longtemps des élèves de collège. Ces lieux communs idéologiques, longtemps véhiculés au sein de l'Education Nationale, tant par les pédagogistes que les syndicats, les associations de parents d'élève courroies de transmission du PS, les enseignants encartés ou les inspecteurs en mal de promotion, méritent tout de même d'être un tantinet nuancés.

    J'ajoute que le bulletin qui figure au dos de la couverture est un faux : Assouline avait démonté la supercherie en son temps, et je partage d'ailleurs un certain nombre de ses observations sur la cancritude de Daniel Penacchoni. Quand d'ailleurs, je songe à ce que Pennac dit du Cercle des poètes disparus, dont il pense le plus grand mal, et que je lis qu'Assouline compare Chagrin d'école à une version bien française du dit film, je rigole doucement...

  • De Louis XI aux technocrates

    Encore un commentaire sur Notre Dame de Paris de Victor Hugo (il me reste un quart du livre à lire): j'en suis arrivé au moment où Louis XI, en entrevue avec les Flamands, examine ses comptes. Un messager arrive alors et lui annonce qu'il y a une sédition populaire (les Truands attaquent Notre-Dame). Dans un premier temps, il s'en réjouit, car il pense que ce sont des seigneurs locaux contre lesquels est dirigée l'ire du peuple. Mais quant il apprend que c'est sa justice qui a été remise en cause, il entre dans une grande colère. Il décide d'envoyer des troupes. Toutefois, s'interrogeant sur les causes exactes de la colère des assiégeants, il s'imagine qu'ils veulent pendre la sorcière qui s'est réfugiée à l'intérieur (il s'agit d'Esmeralda). Il ne lui vient à aucun moment à l'esprit que ce pourrait être au contraire pour la libérer, et pas davantage l'idée d'interroger un truand à ce sujet.

    Quelques moments auparavant, Copenole, l'un des bourgeois flamands, l'a pourtant mis en garde quant à la façon dont les peuples se révoltent contre les rois. Louis XI qui est à la Bastille, se félicite de ce qu'il est dans une forteresse imprenable...Une ironie évidente de Victor Hugo songeant aux débuts de a Révolution...

    Quand je pense à certains nos technocrates, j'y vois le même mpéris pour le peuple : jamais l'envie de savoir ce que le peuple pense, mais simplement des suppositions qui suffisent à les satisfaire.

    Je ne suis pas favorable aux révolutions, et je ne souhaite pas la chute d'une nouvelle Bastille. Mais quand l'Histoire se bloque, c'est hélas inévitable.

    Ceci me rappelle simplement Au nom duTiers-Etat, de François Bayrou :

    Le pouvoir est verrouillé, le peuple n’y a plus aucune place, on est revenu à l’ancien régime. Depuis un quart de siècle, le pouvoir absolu de cette Ve République finissante, appuyé sur des forteresses financières et médiatiques, a réduit le peuple français à la condition du tiers état de 1789. Jamais la phrase de Sieyès n’a paru plus juste : « Qu’est ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À devenir quelque chose. » Voilà des années que François Bayrou dénonce la crise de ce régime et la manière dont les clans se l’approprient. Sur ce thème, depuis la tribune de l’Assemblée nationale, il a pris comme cible les abus de pouvoir et défendu les droits du peuple français et du Parlement. Au nom du tiers état, ces textes de combat sont un réquisitoire contre le mépris des citoyens.

    Voilà, cqfd.

  • Notre Dame de Paris

    Comme je l'avais annoncé il y a quelques temps, j'ai quelques lectures d'été dont Notre Dame de Paris de Victor Hugo. J'avais lu ce livre à 15 ans, mais c'est l'écoute répétée (obsessionnelle) de la comédie musicale de Luc Plamondon et Richard Cocciante qui m'a donné l'envie de le relire. En fait, l'un de mes enfants me pressait de questions sur les relations entre les personnages, et il a donc bien fallu que j'aille lui chercher les réponses :-)

    Quand je compare les deux oeuvres, je suis très impressionné par la profonde connaissance de l'oeuvre que manifeste Luc Plamondon : c'est un vrai lecteur de Victor Hugo, egt il a su réinterpréter l'oeuvre avec une très grande intelligence. Sa fidélité au texte est incroyable. Mais, il en a tout de même transformé l'esprit, non pas tant dans le propos que dans l'esprit littéraire. Hugo est un écrivain romantique, c'est là un lieu commun que de l'écrire, or, l'esprit du romantisme, c'est l'alliance du laid et du sublime, du grotesque et du tragique. La dimension grotesque existe dans l'oeuvre de Victor Hugo : Phoebus est quasiment un personnage de Comedia dell'arte, une sorte de Matamore en herbe, un mauvais Capitan, tandis que Gringoire est presqu'une sorte de Candide en version poète, individu naïf et vaguement pédant, portant aux nues ses mystères et ses poèmes, mais contraint tout de même de chercher désespérément sa pitance. Amusant, d'ailleurs, de constater tous ces personnages désargentés et cherchant avant tout à manger : Gringoire, Phoebus, Jehan (le petit frère de Claude Frollo), soucieux avant tout de bâffrer, et même pour les deux derniers, de boire et d'aller voir les filles de joie.

    En un temps où le positivisme se développe, le goût obsessionnel de Frollo pour l'Alchimie et sa rivalité avec l'astrologue du roi frisent aussi le ridicule.

    Jehan est absent de la comédie musicale, et Gringoire apparaît bien plus philosophe que pédant. Clopin apparaît davantage comme un agitateur politique (ce qui n'aurait sans doute pas forcément déplu à Victor Hugo) qu'un chef de truand. 

    Bref, Plamondon a évacué complètement le comique et conservé uniquement le tragique. D'une certaine manière, il fait d'un drame romantique sous forme de roman une tragédie classique. Magnifque coup de baguette magique.

    Notre Dame de Paris n'est pas toujours aisé à suivre en raison des nombreuses digressions de Victor Hugo. Si l'histoire devait être ramenée à elle-même dans le livre, elle tiendrait en...une comédie musicale :-)

    Les commentaires de Victor Hugo sur Paris, qu'il connaît très bien sont fort intéressants, et c'est une capitale dont nous ignorons tout qui se dessine ainsi sous les yeux du lecteurs, bien loin de ce qu'en a fait Haussmann. D'ailleurs, Victor Hugo rage contre le siècle de Louis XIV et davantage encore contre les hommes de son temps qui ont mis en charpie le vieux Paris gothique et l'ont remplacé par une infâme bouille néo-classique (de son point de vue...quoique...la Madeleine, le Panthéon, ou même l'Assemblée Nationale...bof, bof...)

    Il faudrait faire la visite de Paris avec le chapitre de Notre-Dame où il esquisse les frontières et les bâtisses de la ville médiévale. Pauvre Hugo, quand j'y pense : heureusement qu'il n'est pas là pour voir le projet de tours de grande hauteur de Delanoë...

    Bon, mon blog est politique, alors je vais me risquer à ce diagnostic : j'ai écrit par le passé ici que Montesquieu serait certainement au MoDem s'il était vivant, dans notre monde moderne, mais pour Hugo, je dois franchement reconnaître qu'il serait vraisemblablement socialiste. Nobody is perfect...

  • L'Enfer et le Paradis

    J'ai trouvé en substance cette petite fable dans des contes chinois que je trouve excellente :

    l'Enfer, c'est une table à laquelle sont attablés des hommes ; cette table est garnie de mets aussi savoureux que somptueux. l'inconvénient, c'est que les convives doivent utiliser des baguettes pour manger, et que ces baguettes mesurent deux mètres de long. Aussi, chacun d'entre eux meurt de faim.

    Le Paradis, c'est exactement la même situation, mais la différence, c'est que chaque convive utilise sa baguette pour donner à manger à celui qui se trouve en face, de l'autre côté de la table...

    Pas mal, non ? On fait de cette histoire la devise du MoDem ? Est-ce que cela convient pour définir la social-économie ?

  • La Légende Personnelle de François Bayrou

    Comme je le disais récemment, je poursuis mes lectures, et, parmi elles, l'Alchimiste de Paulo Coelho. J'ai beaucoup aimé ce livre, tout particulièrement l'atmosphère néo-platonicienne/néo-pythagoricienne qui en constitue le fond.

    Santiago, un berger, à la suite d'un songe, décide de partir à la recherche d'un Trésor caché, censé se trouver au pied des pyramides, en Egypte. Alors qu'il hésite encore à accomplir son destin, il rencontre en chemin le Roi de Salem, un roi-mage, et un échange s'ensuit entre les deux hommes.

    « Chacun de nous en sa prime jeunesse sait ce qu'est sa Légende Personnelle.[...] Cependant, à mesure que le temps s'écoule, une force mystérieuse commence à essayer de prouver qu'il est impossible de réaliser sa Légende Personnelle.[...] Ce sont des forces qui semblent mauvaises, mais qui en réalité t'apprennent comment réaliser ta Légende Personnelle. Ce sont elles qui préparent ton esprit et ta volonté, car il y a une grande vérité en ce monde : qui que tu sois, et quoi que tu fasses, lorsque tu veux vraiment quelque chose, c'est que ce désir est né dans l'Âme de l'Univers. C'est ta mission sur terre.[...] L'Âme du Monde se nourrit du bonheur des gens. Ou de leur malheur, de l'envie, de la jalousie. Accomplir sa Légende Personnelle est la seule unique et obligation des hommes. Et quand tu veux quelque chose, tout l'Univers conspire à te permettre de réaliser ton désir.»

    Santiago ira jusqu'en Egypte pour découvrir, grâce à un brigand qui n'a pas cru à un songe, que ce qu'il cherchait était très proche de l'endroit où il avait si longtemps habité. On a souvent lu et entendu, et peut-être l'a-t-il dit lui-même, d'ailleurs, que François Bayrou avait un destin. J'ai trouvé qu'il y avait beaucoup de similitudes entre ce berger et Bayrou, de même qu'entre leurs deux parcours. Santiago devra aussi traverser un long désert au péril de son existence, pris sous les feux croisés de deux forces militaires ennemies l'une de l'autre et prêtes toutes deux à l'exécuter. En matière de désert, Bayrou en connaît un rayon aussi. Il y a même perdu ses bédouins, et sans doute pas mal d'illusions sur la nature humaine au passage...

    Il me semble que l'engagement au MoDem de bien des nouveaux adhérents pourrait aussi s'inscrire dans leur Légende Personnelle, et tout comme Santiago, peut-être aussi à la suite d'un songe...Il restera maintenant aux lecteurs à découvrir quelle est Leur Légende Personnelle , et quant à François Bayrou, sans doute le sait-il lui-même. Cela ne nous empêche pas d'avoir un avis.

  • Démocratie en Amérique : qualité des dirigeants

    J'en suis au chapitre V de la seconde partie, paragraphe 2 de "De la démocratie en Amérique" de Tocqueville. Poursuivant ma lecture, j'en suis donc venu aux considérations de Tocqueville quant aux effets du suffrage universel sur la qualité des élus. Cela vaut son pesant d'or, et cela rejoint certaines analyses exprimées par Schumpeter.

     Bien des gens, en Europe, croient sans le dire, ou disent sans le croire, qu'un des grands avantages du vote universel est d'appeler à la direction des affaires des hom­mes dignes de la confiance publique. Le peuple ne saurait gouverner lui-même, dit-on, mais il veut toujours sincèrement le bien de l'État, et son instinct ne manque guère de lui désigner ceux qu'un même désir anime et qui sont les plus capables de tenir en main le pouvoir.
    [...]
    Tandis que les instincts naturels de la démocratie portent le peuple à écarter les hommes distingués du pouvoir, un instinct non moins fort porte ceux-ci à s'éloigner de la carrière politique, où il leur est si difficile de rester complètement eux-mêmes et de marcher sans s'avilir.
    [...]
    Il m'est démontré que ceux qui regardent le vote universel comme une garantie de la bonté des choix se font une illusion complète. Le vote universel a d'autres avan­tages, mais non celui-là.

    Lorsque de grands périls menacent l'État, on voit souvent le peuple choisir avec bonheur les citoyens les plus propres à le sauver.
    [...]
    On a remarqué que l'homme dans un danger pressant restait rarement à son niveau habituel; il s'élève bien au-dessus, ou tombe au-dessous. Ainsi arrive-t-il aux peuples eux-mêmes. Les périls extrêmes, au lieu d'élever une nation, achèvent quelquefois de l'abattre;[...] Mais il est plus commun de voir, chez les nations comme chez les hommes, les vertus extraordinaires naître de l'imminence même des dangers. Les grands caractères pa­rais­sent alors en relief comme ces monuments que cachait l'obscurité de la nuit, et qu'on voit se dessiner tout à coup à la lueur d'un incendie. Le génie ne dédaigne plus de se reproduire de lui-même, et le peuple, frappé de ses propres périls, oublie pour un temps ses passions envieuses. Il n'est pas rare de voir alors sortir de l'urne élec­torale des noms célèbres
    .

    Intéressant. En même temps, Tocqueville admet volontiers que le peuple cherche de bonne foi le bien commun. Je livre cette explication de sa part, très fine et très juste :

     

    J'admettrai sans peine que la masse des citoyens veut très sincèrement le bien du pays; je vais même plus loin, et je dis que les classes infé­rieures de la société me semblent mêler, en général, à ce désir moins de combinaisons d'intérêt personnel que les classes élevées; mais ce qui leur manque toujours, plus ou moins, C'est l'art de juger des moyens tout en voulant sincèrement la fin. Quelle longue étude, que de notions diverses sont nécessaires pour se faire une idée exacte du caractère d'un seul homme! Les plus grands génies s'y égarent, et la multitude y réussirait! Le peuple ne trouve jamais le temps et les moyens de se livrer à ce travail. Il lui faut toujours juger à la hâte et s'attacher au plus saillant des objets. De là vient que les charlatans de tous genres savent si bien le secret de lui plaire, tandis que, le plus souvent, ses véritables amis y échouent.

    Moi je trouve que cela résume assez bien un vécu récent pour moi... Quelle intuition, ce Tocqueville : j'imagine sa tête et son choix, s'il avait eu à voter en 2007 en France, avec Sarkozy et Royal d'un côté, et Bayrou de l'autre...Nul doute sur le choix qu'il aurait fait alors...

     

     

     

  • Conseil de Tocqueville à Sarkozy sur la presse

    Je continue à lire De la Démocratie en Amérique, et, dans le chapitre III de la partie II du Tome I, j'ai trouvé en introduction quelques réflexions de bon sens sur la liberté de la presse.

    J'avoue que je ne porte point à la liberté de la presse cet amour com­plet et instan­tané qu'on accorde aux choses souverainement bonnes de leur nature. Je l'aime par la considération des maux qu'elle empêche bien plus que pour les biens qu'elle fait.

    Ceci me fait penser à l'attitude du Nouvel Observateur que dénonce à très juste titre Jean Quatremer. Cet hebdomadaire qui se prétend respectable, a inventé de toutes pièces les paroles qu'aurait prononcé Nicolas Sarkozy devant des journalistes en off. Ces journalistes sont des imbéciles. Le TSS (ndlr : tout sauf Sarkozy), outre qu'il a montré ses limites lors de l'élection présidentielle, est une imposture et une malhonnêteté  intellectuelle. Quand elle se double de mensonges les plus éhontés, elle devient insupportable. Cela anéantit toute forme de débat, et je pense , par exemple, que c'est le genre de choses qui ont poussé un Eric Besson à franchir le Rubicond. 

     Il suit dans les écrits de Tocqueville quelques observations loin d'être inintéressantes :

     Si quelqu'un me montrait, entre l'indépendance complète et l'asservissement entier de la pensée, une position intermédiaire où je pusse espérer me tenir, je m'y établirais peut-être; mais qui découvrira cette position intermédiaire ?

    Je crois que Tocqueville a bien cerné le problème, et c'est pour cela que l'on doit supporter les torchons au milieu des revues sérieuses, parce que, malheureusement, il n'existe pas de position intermédiaire pour la liberté de la presse. 

     Vous partez de la licence de la presse et vous marchez dans l'ordre: que faites-vous ? vous soumettez d'abord les écrivains aux jurés; mais les jurés acquittent, et ce qui n'était que l'opinion d'un homme isolé devient l'opinion du pays. Vous avez donc fait trop et trop peu; il faut encore marcher. Vous livrez les auteurs à des magistrats permanents; mais les juges sont obligés d'entendre avant que de condamner; ce qu'on eût craint d'avouer dans le livre, on le proclame impunément dans le plaidoyer; ce qu'on eût dit obscurément dans un récit se trouve ainsi répété dans mille autres. L'expression est la forme extérieure et, si je puis m'exprimer ainsi, le corps de la pensée, mais elle n'est pas la pensée elle-même. Vos tribunaux arrêtent le corps, mais l'âme leur échappe et glisse subtilement entre leurs mains. Vous avez donc fait trop et trop peu; il faut continuer à marcher. Vous abandonnez enfin les écrivains à des censeurs; fort bien! nous appro­chons. Mais la tribune politique n'est-elle pas libre ? Vous n'avez donc encore rien fait; je me trompe, vous avez accru le mal. Prendriez-vous, par hasard, la pensée pour une de ces puissances matérielles qui s'accroissent par le nombre de leurs agents ? Compterez-vous les écrivains comme les soldats d'une armée ? Au rebours de toutes les puissances matérielles, le pouvoir de la pensée s'augmente souvent par le petit nombre même de ceux qui l'expriment. La parole d'un homme puissant, qui pénètre seule au milieu des passions d'une assemblée muette, a plus de pouvoir que les cris confus de mille orateurs; et pour peu qu'on puisse parler librement dans un seul lieu public, C'est comme si on parlait publiquement dans chaque village. Il vous faut donc détruire la liberté de parler comme celle d'écrire; cette fois, vous voici dans le port: chacun se tait. Mais où êtes-vous arrivé ? Vous étiez parti des abus de la liberté, et je vous retrouve sous les pieds d'un despote.

    C'est un cheminement imparable. On obtient souvent l'inverse de ce que l'on voulait à l'origine. Il est très difficile de légiférer en la matière, et, on marche à chaque fois sur des oeufs. J'aime beaucoup la conclusion de cette introduction :

    Vous avez été de l'extrême indépendance à l'extrême servitude, sans rencontrer, sur un si long espace, un seul lieu où vous puissiez vous poser

     On trouve encore ceci , plus loin :

    Dans un pays ou règne ostensiblement le dogme de la souveraineté du peuple, la censure n'est pas seulement un danger, mais encore une grande absurdité.

    Lorsqu'on accorde à chacun un droit à gouverner la société, il faut bien lui recon­naître la capacité de choisir entre les différentes opinions qui agitent ses contempo­rains, et d'apprécier les différents faits dont la connaissance peut le guider
    .

    Je crois que le mieux, c'est de lire le chapitre concerné, car il est édifiant. 

  • MoDem, Tocqueville trace la voie...

    J'en suis désormais au chapitre II de a deuxième partie du Tome I de "De la démocratie en Amérique" de Tocqueville. Il y aborde le fonctionnement des partis, et fait quelques réflexions sur ce qui fait leur grandeur ou leur petitesse...

    « Il arrive des époques où les nations se sentent tourmentées de maux si grands, que l’idée d’un changement total dans leur Constitution politique se présente à leur pensée. Il y en a d’autres où le malaise est plus profond encore, et où l’état social lui-même est compromis. C’est le temps des grandes révolutions et des grands partis.

    Entre ces siècles de désordres et de misères, il s’en rencontre d’autres où les socié­tés se reposent et où la race humaine semble reprendre haleine. Ce n’est encore là, à vrai dire, qu’une apparence ; le temps ne suspend pas plus sa marche pour les peu­ples que pour les hommes ; les uns et les autres s’avancent chaque jour vers un avenir qu’ils ignorent ; et lorsque nous les croyons stationnaires, C’est que leurs mouvements nous échappent. Ce sont des gens qui marchent ; ils paraissent immobiles a ceux qui courent.

    Quoi qu’il en soit, il arrive des époques où les changements qui s’opèrent dans la Constitution politique et l’état social des peuples sont si lents et si insensibles que les hommes pensent être arrivés à un état final ; l’esprit humain se croit alors fermement assis sur certaines bases et ne porte pas ses regards au-delà d’un certain horizon.

    C’est le temps des intrigues et des petits partis
    .

    Ce que j’appelle les grands partis politiques sont ceux qui s’attachent aux principes plus qu’à leurs conséquences ; aux généralités et non aux cas particuliers ; aux idées et non aux hommes. Ces partis ont, en général, des traits plus nobles, des passions plus généreuses, des convictions plus réelles, une allure plus franche et plus hardie que les autres. L’intérêt particulier, qui joue toujours le plus grand rôle dans les passions politiques, se cache ici plus habilement sous le voile de l’intérêt public ; il parvient même quelquefois à se dérober aux regards de ceux qu’il anime et fait agir.

    Les petits partis, au contraire, sont en général sans foi politique. Comme ils ne se sentent pas élevés et soutenus par de grands objets, leur caractère est empreint d’un égoïsme qui se produit ostensiblement à chacun de leurs actes. Ils s’échauffent tou­jours à froid ; leur langage est violent, mais leur marche est timide et incertaine. Les moyens qu’ils emploient sont misérables comme le but même qu’ils se proposent. De là vient que quand un temps de calme succède à une révolution violente, les grands hommes semblent disparaître tout à coup et les âmes se renfermer en elles-mêmes.

    Les grands partis bouleversent la société, les petits l’agitent ; les uns la déchirent et les autres la dépravent ; les premiers la sauvent quelquefois en l’ébran­lant, les seconds la troublent toujours sans profit. »

    Il y a tellement de grandeur dans le propos de Tocqueville, que je ne vois rien d'autre à ajouter, et pas de commentaire supplémentaire à faire. 

  • Tocqueville évoquant un président...

    Tiens...un passage fort intéressant de la Démocratie en Amérique de Tocqueville. Il plaide en fait contre les mandats présidentiels renouvelables en Amérique et expose ses arguments, paragraphe 13, chapitre VIII , Crise de l'élection... 

     « De son côté, le Président est absorbé par le soin de se défendre. Il ne gouverne plus dans l'intérêt de l'État, mais dans celui de sa réélection; il se prosterne devant la majorité, et souvent, au lieu de résister à ses passions, comme son devoir l'y oblige, il court au-devant de ses caprices.
    À mesure que l'élection approche, les intrigues deviennent plus actives, l'agitation plus vive et plus répandue. Les citoyens se divisent en plusieurs camps, dont chacun prend le nom de son candidat. La nation entière tombe dans un état fébrile, l'élection est alors le texte journalier des papiers publics, le sujet des conversations particulières, le but de toutes les démarches, l'objet de toutes les pensées, le seul intérêt du présent. »

    Un an après l'élection de Nicolas Sarkozy, cela ne vous rappelle pas des choses, à vous ?

    Mais moi, ce que je trouve particulièrement perspicace, c'est l'avertissement ci-dessous au paragraphe 14 du chapitre VIII sur la réélection du président :

    « L'intrigue et la corruption sont des vices naturels aux gouvernements électifs. Mais lorsque le chef de l'État peut être réélu, ces vices s'étendent indéfiniment et compromettent l'existence même du pays. Quand un simple candidat veut parvenir par l'intrigue, ses manœuvres ne sauraient s'exercer que sur un espace circonscrit. Lorsque, au contraire, le chef de l'État lui-même se met sur les rangs, il emprunte pour son propre usage la force du gouvernement.

    Dans le premier cas, C'est un homme avec ses faibles moyens; dans le second, C'est l'État lui-même, avec ses immenses ressources, qui intrigue et qui corrompt.

    Le simple citoyen qui emploie des manœuvres coupables pour parvenir au pouvoir, ne peut nuire que d'une manière indirecte à la prospérité publique; mais si le représentant de la puissance exécutive descend dans la lice, le soin du gouvernement devient pour lui l'intérêt secondaire; l'intérêt principal est son élection. Les négociations, comme les lois, ne sont plus pour lui que des combinaisons électorales; les places deviennent la récompense des services rendus, non à la nation, mais à son chef Alors même que l'action du gouvernement ne serait pas toujours contraire à l'intérêt du pays, du moins elle ne lui sert plus. Cependant C'est pour son usage seul qu'elle est faite. »

    Voilà, c'est  fort instructif, et j'ajoute, malheureusement, que la volonté permanente de conserver de manière exclusive le pouvoir entraîne en effet tous les dérapages. Les Américains ont limité les mandats à deux. Les Romains, sagement, interdisaient à tout élu, a fortiori les consuls, de se représenter à la mandature suivante. Il leur fallait attendre un an (on était élu pour une seule année) pour pouvoir se représenter. Cela n'empêchait pas les intrigues, mais cela limitait les tentations de s'emparer du pouvoir à des fins personnelles, même si cela finit par se produire au bout de 500 ans de régime républicain.